„Où j’ai laissé mon âme“ de Jérôme Ferrari

Buch der Woche 41 der Librairie Francaise, der französischen Buchhandlung der Galeries Lafayette BerlinDeux officiers de l’armée française, sortis ensemble de l’enfer de Dien-Bien Phu, se retrouvent à démanteler un réseau du FLN. De victimes, les officiers deviennent rapidement des bourreaux. À travers ses deux personnages centraux : le capitaine Degorce, capitaine devenu militaire par conviction philosophique et religieuse, pour “ sauver la beauté du monde “ et le lieutenant Andreani, tout à l’admiration du premier, une admiration mêlée de fureur quand son modèle et supérieur doutera du bien fondé de sa mission sans pourtant avoir le courage d’y mettre un terme.

Ferrari se frotte aux thèmes qu’il affectionne : la problématique du bien et du mal, du choix et de ses limites en nous offrant les voix d’un damné et d’une âme pure progressivement happée par les ténèbres. Un texte d’une beauté et d’une intelligence rare.

Les premières lignes : “ Je me souviens de vous, mon capitaine, je m’en souviens très bien, et je revois encore distinctement la nuit de désarroi et d’abandon tomber sur vos yeux quand je vous ai appris qu’il s’était pendu. C’était un froid matin de printemps, mon capitaine, c’était il y a si longtemps, et pourtant, un court instant, j’ai vu apparaître devant moi le vieillard que vous êtes finalement devenu. Vous m’aviez demandé comment il était possible que nous ayons laissé un prisonnier aussi important que Tahar sans surveillance, vous aviez répété plusieurs fois, comment est-ce possible ? comme s’il vous fallait absolument comprendre de quelle négligence inconcevable nous nous étions rendus coupables – mais que pouvais-je bien vous répondre ? Alors, je suis resté silencieux, je vous ai souri et vous avez fini par comprendre et j’ai vu la nuit tomber sur vous, vous vous êtes affaissé derrière votre bureau, toutes les années qu’il vous restait à vivre ont couru dans vos veines, elles ont jailli de votre cœur et vous ont submergé, et il y eut soudain devant moi un vieil homme à l’agonie, ou peut-être un petit enfant, un orphelin, oublié au bord d’une longue route désertique. Vous avez posé sur moi vos yeux pleins de ténèbres et j’ai senti le souffle froid de votre haine impuissante, mon capitaine, vous ne m’avez pas fait de reproches, vos lèvres se crispaient pour réprimer le flux acide des mots que vous n’aviez pas le droit de prononcer et votre corps tremblait parce que aucun des élans de révolte qui l’ébranlaient ne pouvait être mené à son terme, la naïveté et l’espoir ne sont pas excuses, mon capitaine, et vous saviez bien que, pas plus que moi, vous ne pouviez être absous de sa mort. „

Jérôme Ferrari : „Où j’ai laissé mon âme“. Actes Sud. 153 pages